Le changement de forme juridique d'une société (transformation de SARL enSAS, d'EURL en SASU, ou même de SCI en SAS) est parfois refusé par le greffe lorsque les capitaux propres sont inférieurs au capital social, même avec un rapport du commissaire à la transformation. Cette position du greffe constitue pourtant une application erronée du droit. La loi et la doctrine sont claires :tant que les associés approuvent l'évaluation des biens en connaissance de cause, la transformation est valide. Cet article détaille le cadre juridique applicable, analyse la position contestable des greffes, et propose des solutions concrètes pour sécuriser votre transformation avec Mozar
La transformation d'une SARL en SAS, d'une EURL en SASU, ou tout autre changement de forme juridique représente une décision stratégique majeure pour de nombreuses entreprises. Cette opération permet d'adapter la structure juridique aux nouveaux besoins de l'entreprise : accueillir des investisseurs, optimiser la fiscalité des dirigeants, ou encore bénéficier d'une gouvernance plus souple. Pourtant, cette démarche peut se heurter à des obstacles administratifs inattendus, notamment lorsque les capitaux propres de la sociétés ont inférieurs à son capital social.
Récemment, le greffe du Tribunal de Commerce de Paris a refusé d'enregistrer une transformation de SARL en SAS au motif que le rapport du commissaire à la transformation constatait que les capitaux propres étaient inférieurs au capital social. Ce refus soulève une question juridique fondamentale : le greffe peut-il refuser une transformation pour ce motif ? La réponse est clairement non.
Cette position du greffe constitue une application erronée du droit des sociétés.Elle confond le contrôle de légalité, qui relève effectivement de la compétence du greffe, avec un contrôle d'opportunité économique qui n'est pas prévu par la loi. Plus grave encore, ce refus ajoute une condition que le législateur n'a jamais voulu imposer, créant ainsi une insécurité juridique préjudiciable pour les entreprises
Le cadre juridique de la transformation de société
Qu'est-ce qu'une transformation de société ?
La transformation d'une société consiste à modifier sa forme juridique tout en maintenant sa personnalité morale. Concrètement, une SARL peut devenir une SAS sans qu'il soit nécessaire de créer une nouvelle société ou de transférer les actifs et passifs. La société conserve son numéro SIREN, son histoire, ses contrats et ses engagements.
Cette continuité juridique constitue l'un des principaux avantages de la transformation par rapport à la dissolution-reconstitution. L'opération est régie par les articles L.210-6 à L.210-8 du Code de commerce, qui posent le principe selon lequel la transformation régulière n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle.
Les conditions générales de transformation d'une SARL en SAS
Pour transformer une SARL en SAS, plusieurs conditions doivent être réunies:
- La décision doit être prise à l'unanimité des associés, sauf si les capitaux propres excèdent 750 000 euros (article L.223-43 du Code de commerce).Les formalités de publicité
- La société ne doit pas être en liquidation judiciair
- Les statuts doivent être modifiés pour adopter la forme de la SAS.
- Un commissaire à la transformation doit être désigné pour établir un rapport sur la situation de la société, sauf accord unanime des associés pour s'en dispenser.
Il est essentiel de noter qu'aucun texte de loi n'exige que les capitaux propres soient au moins égaux au capital social pour procéder à une transformation.
Les autres types de changement de forme juridique concernés
Les mêmes règles s'appliquent aux autres transformations courantes :
Transformation d'EURL en SASU
La transformation d'une EURL (Entreprise Unipersonnelle à ResponsabilitéLimitée) en SASU (Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle) suit exactement les mêmes principes que la transformation SARL en SAS. L'associé unique doit :
- Décider seul de la transformation (pas besoin d'unanimité puisqu'il n'y a qu'un seul associé)
- Faire établir un rapport par un commissaire à la transformation
- Approuver expressément l'évaluation des biens
Là encore, les capitaux propres inférieurs au capital social ne constituent pas un obstacle juridique à la transformation d'EURL en SASU.
Transformation de SCI en SAS
Une SCI (Société Civile Immobilière) peut également se transformer en SAS si elle exerce une activité commerciale ou souhaite changer de nature. Cette transformation est plus complexe car elle implique un changement de nature juridique (passage du civil au commercial), mais les règles restent les mêmes :
- Unanimité des associés requise
- Intervention d'un commissaire à la transformation
- Approbation expresse de l'évaluation des biens
Encore une fois, le niveau des capitaux propres ne constitue pas une condition de validité du changement de forme juridique de SCI en SAS.
Autres transformations possibles
Le même raisonnement juridique s'applique à toutes les transformations impliquant le passage en société par actions :
- SA en SAS (ou inversement)
- SARL en SA
- SNC en SAS
- SCS en SA
Dans tous ces cas, seule l'approbation expresse des associés conditionne la validité de la transformation, non le niveau des capitaux propres.
L'intervention obligatoire du commissaire à la transformation
Conformément à l'article L.224-3 du Code de commerce, lorsqu'une SARL qui n'a pas de commissaire aux comptes se transforme en société par actions (SAS,SA, SCA), la désignation d'un ou plusieurs commissaires à la transformation est obligatoire, sauf accord unanime des associés.
Le commissaire à la transformation a pour mission d'apprécier la valeur des biens composant l'actif social et de vérifier l'existence d'éventuels avantages particuliers consentis aux associés. Il peut également être chargé d'établir le rapport sur la situation de la société mentionné à l'articleL.223-43.
Son rapport doit notamment attester que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social (article R.224-3 du Code de commerce).Mais attention : cette attestation a une valeur purement informative. Elle vise à éclairer les associés sur la situation financière de la société, sans pour autant constituer une condition de validité de la transformation.
Qu'est-ce que les capitaux propres et le capital social ?
Le capital social : définition et rôle
Le capital social représente la somme des apports effectués par les associés ou actionnaires lors de la création de la société ou lors d'augmentations de capital ultérieures. Il constitue une donnée statique et intangible (sauf opérations spécifiques d'augmentation ou de réduction de capital).
Le capital social remplit trois fonctions principales :
- Une fonction de garantie pour les créanciers sociaux, notamment dans les sociétés à responsabilité limitée où les associés ne sont engagés qu'à hauteur de leurs apports.
- Une fonction de répartition, puisqu'il détermine la proportion des droits de chaque associé (droits aux bénéfices, droits de vote).
- Une fonction d'information, en donnant une indication sur l'importance des moyens initialement mis à disposition de la société.
Dans une SARL ou une SAS, le capital social minimum est fixé à 1 euro, même si en pratique, les entrepreneurs choisissent souvent un montant plus élevé pour renforcer la crédibilité de l'entreprise.
Les capitaux propres : une donnée dynamique
Les capitaux propres (ou fonds propres) constituent une notion comptable qui reflète la situation financière réelle de l'entreprise à un instant donné. Ils se calculent selon la formule suivante :
Capitaux propres = Capital social + Réserves + Report à nouveau + Résultat de l'exercice - Pertes
Les capitaux propres évoluent donc constamment en fonction de l'activité de l'entreprise. Chaque exercice bénéficiaire augmente les capitaux propres, tandis que les pertes les diminuent.
Par exemple, une SARL créée avec un capital de 10 000 € qui subit des pertes cumulées de 7 000 € aura des capitaux propres de seulement 3 000 €, soit un montant bien inférieur à son capital social initial.
La différence fondamentale entre les deux notions
La distinction entre capital social et capitaux propres est essentielle pour comprendre notre problématique :
- Le capital social est une donnée juridique et comptable figée, inscrite dans les statuts. Il ne varie que si les associés décident explicitement de le modifier.
- Les capitaux propres sont une donnée économique et dynamique, qui mesure la richesse réelle de l'entreprise à un moment précis.
Une société peut donc parfaitement avoir un capital social de 50 000 € mais des capitaux propres de seulement 20 000 € si elle a subi des pertes. Cette situation, bien que préoccupante sur le plan financier, n'empêche nullement la société de continuer à fonctionner normalement, sous réserve de respecter la procédure d'alerte prévue par les articles L.223-42 (SARL) et L.225-248(sociétés par actions) du Code de commerce.
Quand les capitaux propres deviennent inférieurs au capital social
La procédure d'alerte : une obligation légale
Lorsque les capitaux propres d'une société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, une procédure d'alerte spécifique doit être mise en œuvre. Cette obligation, prévue par les articles L.223-42 (pour les SARL) etL.225-248 (pour les SAS et SA) du Code de commerce, vise à informer les associés de la situation financière dégradée de l'entreprise.
La procédure se déroule en plusieurs étapes obligatoires :
1. Constatation de la situation lors de l'assemblée générale d'approbation des comptes
Lorsque les comptes font apparaître que les capitaux propres sont tombés en dessous de la moitié du capital social, cette situation doit être formellement constatée.
2. Convocation d'une assemblée générale extraordinaire dans les 4 mois
Les dirigeants (gérant pour une SARL, président ou directoire pour une société par actions) doivent convoquer une assemblée générale extraordinaire dans un délai maximum de 4 mois suivant l'approbation des comptes.
3. Décision des associés : dissolution ou poursuite de l'activité
Les associés doivent se prononcer sur deux options :
- Soit prononcer la dissolution anticipée de la société.
- Soit décider la poursuite de l'activité, en s'engageant à reconstituer les capitaux propres dans un délai de deux ans.
4. Publication d'un avis dans un journal d'annonces légales
La décision prise par l'assemblée doit faire l'objet d'une publication dans un journal d'annonces légales afin d'informer les tiers.
5. Dépôt au greffe et mention sur le Kbis
Si les associés décident de poursuivre l'activité, une inscription modificative doit être effectuée au registre du commerce et des sociétés.L'extrait Kbis de la société mentionnera alors « Capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social » jusqu'à régularisation de la situation.
Les délais et options de régularisation
Suite à la réforme introduite par la loi DDADUE 3 du 9 mars 2023 et le décret d'application du 25 juillet 2023, le dispositif de reconstitution des capitaux propres a été assoupli.
Délai initial de 2 ans pour reconstituer les capitaux propres
La société dispose d'un délai de 2 ans (à compter de la clôture de l'exercice au cours duquel les pertes ont été constatées) pour reconstituer ses capitaux propres à un niveau au moins égal à la moitié du capital social.
Cette reconstitution peut s'opérer de plusieurs manières :
- Réalisation de bénéfices permettant d'apurer les pertes
- Augmentation de capital en numéraire ou en nature
- Abandon de compte courant d'associé au profit de la société
- Réduction du capital pour l'ajuster au niveau des capitaux propres
Délai supplémentaire de 2 ans pour réduire le capital
Si, à l'issue du premier délai de 2 ans, la société n'a pas reconstitué ses capitaux propres, elle bénéficie d'un délai supplémentaire de 2 ans pour réduire son capital social à un seuil très bas :
- 1 % du total du bilan pour les SARL et les SAS (articles R.223-37 et R.225-166-1 du Code de commerce)
- La valeur la plus élevée entre 1 % du total du bilan et le capital social minimal légal (37 000 €) pour les SA et SCA
Les conséquences sur la vie de la société
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le fait d'avoir des capitaux propres inférieurs au capital social n'empêche pas la société de fonctionner normalement, sous réserve de respecter la procédure d'alerte décrite ci-dessus.
La société peut :
- Continuer son activité commerciale
- Conclure de nouveaux contrats
- Recruter des salariés
- Modifier ses statuts
- Procéder à une transformation de forme juridique
Le rôle du commissaire à la transformation
Nomination et incompatibilités
Le commissaire à la transformation est un professionnel inscrit sur la liste des commissaires aux comptes. Sa désignation intervient soit par décision unanime des associés, soit, à défaut, par décision de justice à la demande des dirigeants sociaux ou de l'un d'eux (article L.224-3 du Code de commerce).
Le commissaire à la transformation est soumis aux mêmes incompatibilités que les commissaires aux comptes (article L.821-31 du Code de commerce).
Les missions du commissaire à la transformation
Le commissaire à la transformation a deux missions principales définies parla loi :
Mission 1 : Apprécier la valeur des biens composant l'actif social
Le commissaire doit évaluer les actifs de la société pour s'assurer qu'ils sont correctement valorisés dans les comptes.
Mission 2 : Vérifier l'octroi d'avantages particuliers
Le commissaire doit identifier si certains associés bénéficient d'avantages particuliers à l'occasion de la transformation.
Mission facultative : Établir le rapport sur la situation de la société
Le commissaire à la transformation peut également être chargé d'établir le rapport sur la situation de la société mentionné à l'article L.223-43, alinéa3, du Code de commerce.
Le contenu du rapport et son statut juridique
L'article R.224-3 du Code de commerce précise que le rapport des commissaires à la transformation atteste que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social.
Cette formulation a suscité beaucoup de confusion. Que se passe-t-il si les capitaux propres sont inférieurs au capital social ?
La réponse est claire : non. Le rapport du commissaire à la transformation a une valeur purement informative et préventive. Son rôle est d'éclairer les associés sur la situation financière réelle de la société au moment de la transformation.
Si les capitaux propres sont inférieurs au capital social, le commissaire doit simplement le mentionner dans son rapport. Il informe ainsi les associés de cette situation pour qu'ils puissent délibérer en pleine connaissance de cause.
L'importance de l'approbation par les associés
L'article L.224-3 du Code de commerce est très clair sur ce point : les associés statuent sur l'évaluation des biens et l'octroi des avantages particuliers. Cette approbation est le véritable acte décisif.
Le dernier alinéa de l'article L.224-3 précise : « À défaut d'approbation expresse des associés, mentionnée au procès-verbal, la transformation est nulle. »
En d'autres termes
- Si les associés approuvent l'évaluation, la transformation est valide, même si les capitaux propres sont inférieurs au capital social.
- Si les associés n'approuvent pas expressément, la transformation est nulle, quelle que soit la situation des capitaux propres.
Capitaux propres inférieurs au capital social: peut-on transformer sa société ?
Que dit la loi ?
Examinons attentivement les textes applicables pour répondre à cettequestion essentielle.
Article L.224-3 du Code de commerce : les conditions de transformation
Cet article énonce les règles applicables à la transformation d'une sociétéen société par actions. Il prévoit :
- La désignation d'un commissaire à la transformation
- L'établissement d'un rapport sur la valeur des biens et les avantages particuliers
- L'approbation par les associés de l'évaluation des biens et des avantages particuliers
- La nullité en cas d'absence d'approbation expresse
Nulle part dans cet article, ni dans aucun autre texte du Code de commerce, il n'est exigé que les capitaux propres soient au moins égaux au capital social pour procéder à une transformation.
Article L.235-1 du Code de commerce : le principe de nullité textuelle
Cet article fondamental dispose : « La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. »
Ce principe de nullité textuelle signifie que seules les causes de nullité expressément prévues par la loi peuvent conduire à l'annulation d'une transformation.
Or, comme nous l'avons vu, aucun texte ne prévoit la nullité d'une transformation en raison de capitaux propres inférieurs au capital social.
La position unanime de la doctrine professionnelle
La Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC)
Bulletin n°179 (septembre 2015) - Étude juridique EJ 2015-15 :
« La décision de transformation [...] est irrégulière mais n'encourt pas la nullité [...] dès lors que les associés ont approuvé l'évaluation des biens. »
Cette formulation est essentielle. La CNCC reconnaît qu'il existe une irrégularité(au sens où la situation financière n'est pas optimale), mais affirme clairement qu'il n'y a pas de nullité, car aucun texte ne la prévoit.
Note d'Information NI VI (juillet 2018) :
« La transformation sur la base du rapport du commissaire à la transformation concluant que les capitaux propres sont inférieurs au capital social [...] n'encourt pas la nullité prévue à l'alinéa 3 de l'article L.224-3du code de commerce, dès lors que les associés ont approuvé l'évaluation des biens et l'éventuel octroi d'avantages particuliers et que ces approbations ont été dûment mentionnées au procès-verbal. »
L'Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA)
Avis n°19-040 du 5 juin 2019 :
L'ANSA va même plus loin en affirmant que, même en l'absence complète de rapport du commissaire à la transformation, seule la responsabilité civile des dirigeants pourrait être engagée. La transformation elle-même ne serait pas nulle pour autant.
Conclusion : La transformation est légalement possible
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la réponse est sans ambiguïté : oui, il est parfaitement légal de transformer une SARL en SAS même lorsque les capitaux propres sont inférieurs au capital social, dès lors que les associés approuvent l'évaluation des biens en connaissance de cause.
Le refus du greffe : un contrôle qui outrepasse ses prérogatives
Le cas pratique : le refus du greffe de Paris
Récemment, le greffe du Tribunal de Commerce de Paris a refusé d'enregistrer une transformation de SARL en SAS, adressant aux demandeurs une «Réclamation de pièces ou renseignements manquants ».
Le motif invoqué était le suivant : « Le rapport du commissaire à la transformation indique que le montant des capitaux propres n'est pas au moins égal au montant du capital social. Par conséquent, la transformation ne peut pas avoir lieu. Merci de revoir. »
Ce refus a été notifié alors que :
- Un commissaire à la transformation dûment inscrit avait établi son rapport
- Les associés avaient approuvé l'évaluation des biens
- Toutes les formalités légales avaient été respectées
- Le procès-verbal d'assemblée générale mentionnait expressément l'approbation
Ce type de refus concerne tous les changements de forme juridique : transformation de SARL en SAS, d'EURL en SASU, de SCI en SAS, ou toute autre transformation impliquant le passage en société par actions. Les greffe sappliquent parfois cette interprétation erronée sans distinction, créant ainsi une insécurité juridique généralisée pour les entreprises souhaitant adapter leur structure.
Les prérogatives du greffe du tribunal de commerce
Le greffe du tribunal de commerce exerce un contrôle de légalité sur les actes et formalités qui lui sont soumis.
Ce contrôle consiste à vérifier que :
- Les formalités obligatoires ont été accomplies
- Les documents requis sont fournis
- Les actes ne contreviennent pas à une disposition légale impérative
- La procédure suivie est conforme au droit
En revanche, le greffe n'exerce pas de contrôle d'opportunité. Il ne peut pas apprécier si une décision est économiquement judicieuse.
La confusion entre contrôle de légalité et contrôle d'opportunité
Le refus du greffe de Paris illustre parfaitement une confusion entre ces deux types de contrôle.
En refusant l'enregistrement au motif que les capitaux propres sont inférieurs au capital social, le greffe opère un contrôle d'opportunité économique : il estime que la transformation n'est pas souhaitable dans cette situation financière.
Or, ce jugement n'appartient qu'aux associés, qui sont les seuls à pouvoir apprécier si la transformation est dans l'intérêt de la société.
L'ajout d'une condition non prévue par la loi
Plus grave encore, le greffe ajoute une condition de validité que le législateur n'a jamais voulu imposer.
En refusant l'enregistrement pour ce motif, le greffe crée une règle qui n'existe pas dans la loi. Cette position constitue une véritable erreur de droit.
Analyse juridique : pourquoi le greffe a tort ?
Le principe de nullité textuelle
L'article L.235-1 du Code de commerce énonce un principe fondamental : «La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. »
Or, aucun texte ne prévoit la nullité d'une transformation en raison de capitaux propres inférieurs au capital social.
L'article L.224-3 : une seule cause de nullité
L'article L.224-3 prévoit une seule cause de nullité : « À défaut d'approbation expresse des associés, mentionnée au procès-verbal, la transformation est nulle. »
Cette nullité intervient uniquement si les associés n'ont pas expressément approuvé l'évaluation des biens. Dès lors que cette approbation figure au procès-verbal, la transformation ne peut être annulée.
Le rôle informatif du rapport du commissaire
L'article R.224-3 dispose que le rapport « atteste que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social ».
Il s'agit d'une obligation d'information, non d'une condition de validité.
Si les capitaux propres sont insuffisants, le commissaire doit le mentionner pour que les associés délibèrent en connaissance de cause.
La primauté de la volonté des associés informés
Si les associés, pleinement informés de la situation financière, décident néanmoins de procéder à la transformation, leur volonté doit être respectée.
Le greffe ne peut se substituer aux associés pour apprécier l'opportunité de leur décision.
L'absence de risque pour les tiers
La transformation n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Les créanciers conservent exactement les mêmes droits qu'avant.
Le refus du greffe ne protège personne. Au contraire, il prive l'entreprise d'un outil de restructuration.
Que faire en cas de refus du greffe ?
La régularisation : une solution inadaptée
Le greffe accorde généralement un délai de 15 jours pour « régulariser ».Mais cette « solution » est inadaptée car :
- Elle peut prendre des mois ou des années
- Elle peut nécessiter une augmentation de capital coûteus
- Elle fait perdre un temps précieux
- Elle engendre des coûts supplémentaires
Surtout, cette régularisation n'a aucun fondement juridique.
Le recours contre la décision du greffe
Le recours gracieux
Adresser un recours gracieux au greffier en chef en exposant les arguments juridiques. Ce recours doit être :
- Motivé : citer les articles de loi, la doctrine
- Documenté : joindre les textes
- Respectueux mais ferme
Le recours devant le juge commis à la surveillance du RCS
Saisir le juge commis à la surveillance du registre du commerce qui peut ordonner au greffier de procéder à l'enregistrement.
Le référé ou l'action au fond
En dernier recours, engager une procédure de référé devant le tribunal de commerce.
L'appui de professionnels
Se faire assister par
- Un avocat spécialisé en droit des sociétés
- Un commissaire à la transformation
- Un expert-comptable
Les bonnes pratiques pour sécuriser satransformation
Anticiper et documenter la procédure
Constituer un dossier complet :
- Comptes annuels des trois derniers exercices
- Situation comptable récente
- Rapport du commissaire à la transformation
- PV d'AG mentionnant expressément l'approbation
- Nouveaux statuts
Rédiger un PV précis : Le PV doit mentionner :
- La lecture du rapport
- Le constat des capitaux propres insuffisants
- La décision de procéder néanmoins à la transformation
- L'approbation expresse de l'évaluation des biens
- Le vote unanime
Choisir un commissaire à la transformation expérimenté
Mozar vous met en relation avec des commissaires qualifiés et expérimentés.
Prévoir un argumentaire juridique solide
Préparer
- La référence aux articles de loi
- La démonstration de l'approbation des associés
- Les citations de la doctrine
- L'explication du principe de nullité textuelle
Informer clairement les associés
Au-delà des obligations légales, informer clairement les associés par :
- Un courrier explicatif
- Une note de synthèse
- Une présentation orale lors de l'AG
Envisager des mesures complémentaires
Si la situation est dégradée :
- Augmentation de capital concomitant
- Abandon de compte courant d'associé
- Plan de restructuration
FAQ : Transformation de société et capitaux propres
1. Peut-on transformer une SARL en SAS si les capitaux propres sont négatifs ?
Oui, juridiquement, la transformation reste possible même si les capitauxpropres sont négatifs. Cependant, cette situation révèle une difficulté financière majeure qui nécessite une attention particulière.
Dans ce cas :
- La procédure d'alerte doit avoir été respectée
- Le rapport du commissaire mentionnera cette situation
- Les associés doivent approuver en connaissance de cause
- Prévoir une augmentation de capital ou un abandon de compte courant
2. Le commissaire à la transformation peut-il refuser d'établir son rapport si les capitaux propres sont insuffisants ?
Non, le commissaire ne peut pas refuser. Sa mission consiste à informer les associés de la situation, quelle qu'elle soit.
3. Le greffe peut-il systématiquement refuser les transformations avec capitaux propres insuffisants ?
Non, aucun texte de loi ne prévoit une telle cause de refus. Le greffe commet une erreur de droit qui peut être contestée.
4. Quels sont les risques pour les associés ?
Risque d'image : Mention au Kbis
Risque de dissolution : Si non régularisé dans les délais
Risque de responsabilité des dirigeants : Si procédured'alerte non respectée
En revanche, la transformation n'aggrave pas ces risques.
5. Peut-on transformer une EURL en SASU avec descapitaux propres insuffisants ?
Oui, absolument. La transformation d'une EURL en SASU suit exactement lesmêmes règles juridiques que la transformation SARL en SAS.
Les principes sont identiques :
- Aucun texte de loi n'exige que les capitaux propres soient au moins égaux au capital social
- Le commissaire à la transformation doit mentionner la situation dans son rapport
- L'associé unique doit approuver expressément l'évaluation des biens en connaissance de cause
- Cette approbation est la seule condition de validité
La transformation d'EURL en SASU est même plus simple puisqu'il n'ya qu'un seul associé : pas besoin d'obtenir l'unanimité, l'associé unique décide seul.
6. La transformation annule-t-elle les dettes ?
Non, absolument pas. La transformation ne crée pas de personne morale nouvelle.
7. Doit-on informer les créanciers ?
Pas d'obligation individuelle, mais :
- Publication dans un JAL
- Inscription modificative au RCS
8. Une SCI peut-elle se transformer en SAS avec des capitaux propres inférieurs au capital social ?
Oui, mais cette transformation est plus complexe car elle implique un changement de nature juridique (passage d'une société civile à une société commerciale).
Conditions spécifiques pour transformer une SCI en SAS :
- La SCI doit exercer ou envisager d'exercer une activité commerciale (sinon elle doit rester civile)
- Unanimité des associés requise
- Intervention d'un commissaire à la transformation
- Modification complète des statuts pour adopter le régime des sociétés par actions
Concernant les capitaux propres insuffisants :
Le principe reste identique : aucun texte n'exige que les capitaux propres soient au moins égaux au capital social pour transformer une SCI enSAS. Le commissaire à la transformation mentionnera la situation dans son rapport, et les associés décideront en connaissance de cause.
Attention toutefois : une SCI avec des capitaux propres très dégradés devra probablement prévoir une augmentation de capital simultanée pour crédibiliser sa nouvelle activité commerciale et rassurer ses partenaires.
Points de vigilance pour la transformation SCI en SAS :
- Vérifier que l'objet social permet l'activité commerciale envisagée
- S'assurer que les baux commerciaux et contrats en cours sont compatibles
- Anticiper les conséquences fiscales (passage à l'IS si la SCI était à l'IR)
- Prévoir le financement nécessaire si les capitaux propres sont insuffisants
Conclusion
Le changement de forme juridique (transformation de SARL en SAS, d'EURL en SASU, de SCI en SAS ou toute autre transformation) est parfaitement légal même lorsque les capitaux propres sont inférieurs au capital social. Le refus du greffe pour ce motif constitue une erreur de droit manifeste qui peut et doit être contestée




